ZOPIRE: Qui ? Moi, baisser les yeux devant ses faux prodiges !
Moi, de ce fanatique encenser les prestiges !
L’honorer dans la Mecque après l’avoir banni !
Non. Que des justes dieux Zopire soit puni
si tu vois cette main, jusqu’ici libre et pure,
caresser la révolte et flatter l’imposture ! 1Voltaire, Le fanatisme our Mahomet le Prophète (Amsterdam: Ledet et Cie, 1741; imprimé, Paris: L’Herne, 2015), 9.

PHANOR: aujourd’hui, c’est un prince ; il triomphe, il domine ;
imposteur à la Mecque, et prophète à Médine,
il sait faire adorer à trente nations
tous ces mêmes forfaits qu’ici nous détestons.
Que dis­je ? En ces murs même une troupe égarée,
des poisons de l’erreur avec zèle enivrée,
de ses miracles faux soutient l’illusion,
répand le fanatisme et la sédition,
appelle son armée, et croit qu’un dieu terrible
l’inspire, le conduit, et le rend invincible. 2Ibid, 10.

ZOPIRE: La paix avec ce traître ! Ah ! Peuple sans courage,
n’en attendez jamais qu’un horrible esclavage :
allez, portez en pompe, et servez à genoux
l’idole dont le poids va vous écraser tous. 3Ibid, 11.

ZOPIRE: Étrange aveuglement des malheureux mortels !
Tout m’abandonne ici pour dresser des autels
à ce coupable heureux qu’épargna ma justice,
et qui courut au trône, échappé du supplice. 4Ibid, 18.

ZOPIRE: ce que ton peuple adore excite mes mépris.
Bannis toute imposture, et d’un coup d’oeil plus sage
regarde ce prophète à qui tu rends hommage ;
vois l’homme en Mahomet ; conçois par quel degré
tu fais monter aux cieux ton fantôme adoré.
Enthousiaste ou fourbe, il faut cesser de l’être ;
sers­toi de ta raison, juge avec moi ton maître :
tu verras de chameaux un grossier conducteur,
chez sa première épouse insolent imposteur,
qui, sous le vain appât d’un songe ridicule,
des plus vils des humains tente la foi crédule 5Ibid, 24.

OMAR: Le peuple, aveugle et faible, est né pour les grands hommes,
pour admirer, pour croire, et pour nous obéir.
Viens régner avec nous, si tu crains de servir ;
partage nos grandeurs au lieu de t’y soustraire ;
et, las de l’imiter, fais trembler le vulgaire. 6Ibid, 26.

ZOPIRE: Je t’y suis ; nous verrons qui l’on doit écouter.
Je défendrai mes lois, mes dieux, et ma patrie.
Viens­y contre ma voix prêter ta voix impie
au dieu persécuteur, effroi du genre humain,
qu’un fourbe ose annoncer les armes à la main.
(à Phanor)
toi, viens m’aider, Phanor, à repousser un traître :
le souffrir parmi nous, et l’épargner, c’est l’être.
Renversons ses desseins, confondons son orgueil ;
préparons son supplice, ou creusons mon cercueil.
Je vais, si le sénat m’écoute et me seconde,
délivrer d’un tyran ma patrie et le monde. 7Ibid, 29.

MAHOMET: Je fais trembler la Mecque, et je règne à Médine ;
crois­moi, reçois la paix, si tu crains ta ruine.
8Ibid, 48.

MAHOMET: le glaive et l’alcoran, dans mes sanglantes mains,
imposeraient silence au reste des humains ;
ma voix ferait sur eux les effets du tonnerre,
et je verrais leurs fronts attachés à la terre :
mais je te parle en homme, et sans rien déguiser ;
je me sens assez grand pour ne pas t’abuser.
Vois quel est Mahomet : nous sommes seuls ; écoute :
je suis ambitieux ; tout homme l’est, sans doute ;
mais jamais roi, pontife, ou chef, ou citoyen,
ne conçut un projet aussi grand que le mien.
Chaque peuple à son tour a brillé sur la terre,
par les lois, par les arts, et surtout par la guerre ;
le temps de l’Arabie est à la fin venu.
Ce peuple généreux, trop longtemps inconnu,
laissait dans ses déserts ensevelir sa gloire ;
voici les jours nouveaux marqués pour la victoire.
Vois du nord au midi l’univers désolé,
la Perse encor sanglante, et son trône ébranlé,
l’Inde esclave et timide, et l’Égypte abaissée,
des murs de Constantin la splendeur éclipsée ;
vois l’empire romain tombant de toutes parts,
ce grand corps déchiré, dont les membres épars
languissent dispersés sans honneur et sans vie :
sur ces débris du monde élevons l’Arabie.
Il faut un nouveau culte, il faut de nouveaux fers ;
il faut un nouveau dieu pour l’aveugle univers.
En Égypte Osiris, Zoroastre en Asie,
chez les Crétois Minos, Numa dans l’Italie,
à des peuples sans moeurs, et sans culte, et sans rois,
donnèrent aisément d’insuffisantes lois.
Je viens après mille ans changer ces lois grossières :
j’apporte un joug plus noble aux nations entières :
j’abolis les faux dieux ; et mon culte épuré
de ma grandeur naissante est le premier degré.
Ne me reproche point de tromper ma patrie ;
je détruis sa faiblesse et son idolâtrie :
sous un roi, sous un dieu, je viens la réunir ;
et, pour la rendre illustre, il la faut asservir. 9Ibid, 44-46.

ZOPIRE: Voilà donc tes desseins ! C’est donc toi dont l’audace
de la terre à ton gré prétend changer la face !
Tu veux, en apportant le carnage et l’effroi,
commander aux humains de penser comme toi :
tu ravages le monde, et tu prétends l’instruire.
Ah ! si par des erreurs il s’est laissé séduire,
si la nuit du mensonge a pu nous égarer,
par quels flambeaux affreux veux­tu nous éclairer ?
Quel droit as­tu reçu d’enseigner, de prédire,
de porter l’encensoir, et d’affecter l’empire ? 10Ibid, 46-47.

MAHOMET: j’ai besoin d’un bras qui, par ma voix conduit,
soit seul chargé du meurtre et m’en laisse le fruit. 11Ibid, 54.

MAHOMET: Je préfère en secret Palmire à mes épouses.
Conçois­tu bien l’excès de mes fureurs jalouses,
quand Palmire à mes pieds, par un aveu fatal,
insulte à Mahomet, et lui donne un rival ? 12Ibid, 41.

OMAR: la jeunesse est le temps de ces illusions 13Ibid, 68.

PALMIRE: Séide vous adore encor plus qu’il ne m’aime ;
il voit en vous son roi, son père, son appui :
j’en atteste à vos pieds l’amour que j’ai pour lui.
Je cours à vous servir encourager son âme. 14Ibid, 65.

MAHOMET: Faites ce qu’il ordonne, il n’est point d’autre honneur.
De ses décrets divins aveugle exécuteur,
adorez et frappez ; vos mains seront armées
par l’ange de la mort, et le dieu des armées. 15Ibid, 69.

MAHOMET: Quiconque ose penser n’est pas né pour me croire.
Obéir en silence est votre seule gloire. 16Ibid, 70.

SÉIDE: Je crois entendre dieu ; tu parles : j’obéis.
MAHOMET: Obéissez, frappez : teint du sang d’un impie,
méritez par sa mort une éternelle vie.
(à Omar)
ne l’abandonne pas ; et, non loin de ces lieux,
sur tous ses mouvements ouvre toujours les yeux. 17Ibid, 71.

SÉIDE: Immoler un vieillard de qui je suis l’otage,
sans armes, sans défense, appesanti par l’âge !
N’importe ; une victime amenée à l’autel
y tombe sans défense, et son sang plait au ciel.
Enfin dieu m’a choisi pour ce grand sacrifice :
j’en ai fait le serment ; il faut qu’il s’accomplisse.
Venez à mon secours, ô vous, de qui le bras
aux tyrans de la terre a donné le trépas !
Ajoutez vos fureurs à mon zèle intrépide ;
affermissez ma main saintement homicide.
Ange de Mahomet, ange exterminateur,
mets ta férocité dans le fond de mon coeur ! 18Ibid, 71-72.

ZOPIRE: Ton esprit, fasciné par les lois d’un tyran,
pense que tout est crime hors d’être musulman.
Cruellement docile aux leçons de ton maître,
tu m’avais en horreur avant de me connaître ;
avec un joug de fer, un affreux préjugé
tient ton coeur innocent dans le piége engagé.
Je pardonne aux erreurs où Mahomet t’entraîne ;
mais peux­tu croire un dieu qui commande la haine ? 19Ibid, 74.

MAHOMET: La nature à mes yeux n’est rien que l’habitude ;
celle de m’obéir fit son unique étude :
je lui tiens lieu de tout. Qu’elle passe en mes bras,
sur la cendre des siens, qu’elle ne connaît pas.
Son cœur même en secret, ambitieux peut-être,
sentira quelque orgueil à captiver son maître.
Mais déjà l’heure approche où Séide en ces lieux
doit m’immoler son père à l’aspect de ses dieux. 20Ibid, 84-85.

SÉIDE: Parlez, déterminez ma fureur égarée ;
éclairez mon esprit, et conduisez mon bras ;
tenez-moi lieu d’un dieu que je ne comprends pas.
Pourquoi m’a-t-il choisi ? Ce terrible prophète
d’un ordre irrévocable est-il donc l’interprète ! 21Ibid, 86.

PALMIRE: Tremblons d’examiner. Mahomet voit nos cœurs,
il entend nos soupirs, il observe mes pleurs.
Chacun redoute en lui la divinité même,
c’est tout ce que je sais ; le doute est un blasphème :
et le dieu qu’il annonce avec tant de hauteur,
Séide, est le vrai dieu, puisqu’il le rend vainqueur. 22Ibid.

SÉIDE: Mahomet s’expliquait, il a fallu me taire ;
et, tout fier de servir la céleste colère,
sur l’ennemi de dieu je portais le trépas:
un autre dieu, peut-être, a retenu mon bras.
Du moins, lorsque j’ai vu ce malheureux Zopire,
de ma religion j’ai senti moins l’empire.
Vainement mon devoir au meurtre m’appelait ;
à mon cœur éperdu l’humanité parlait.
Mais avec quel courroux, avec quelle tendresse,
Mahomet de mes sens accuse la faiblesse !
Avec quelle grandeur, et quelle autorité,
sa voix vient d’endurcir ma sensibilité !
Que la religion est terrible et puissante !
J’ai senti la fureur en mon cœur renaissante ;
Palmire, je suis faible, et du meurtre effrayé ;
de ces saintes fureurs je passe à la pitié;
de sentiments confus une foule m’assiège:
je crains d’être barbare, ou d’être sacrilège.
Je ne me sens point fait pour être un assassin.
Mais quoi ! Dieu me l’ordonne, et j’ai promis ma main 23Ibid, 87-88.

SÉIDE: Il court à ses faux dieux ! Frappons.
(il tire son poignard.) 24Ibid, 93.

SÉIDE: Servir le ciel, te mériter, te plaire.
Ce glaive à notre dieu vient d’être consacré ;
que l’ennemi de dieu soit par lui massacré !
Marchons. Ne vois-tu pas dans ces demeures sombres
ces traits de sang, ce spectre, et ces errantes ombres ? 25Ibid.

SÉIDE: Je vous suis, ministres du trépas:
vous me montrez l’autel; vous conduisez mon bras.
Allons. 26Ibid, 94.

SÉIDE, se revelant: Moi ! Je viens d’obéir…
d’un bras désespéré je viens de le saisir.
Par ses cheveux blanchis j’ai traîné ma victime.
ô ciel ! Tu l’as voulu ! Peux-tu vouloir un crime ?
Tremblant, saisi d’effroi, j’ai plongé dans son flanc
ce glaive consacré qui dut verser son sang.
J’ai voulu redoubler ; ce vieillard vénérable
a jeté dans mes bras un cri si lamentable !
La nature a tracé dans ses regards mourants
un si grand caractère, et des traits si touchants !…
de tendresse et d’effroi mon âme s’est remplie,
et, plus mourant que lui, je déteste ma vie. 27Ibid, 97.

SÉIDE, se jetant à genoux: L’amour de mon devoir et de ma nation,
et ma reconnaissance, et ma religion ;
tout ce que les humains ont de plus respectable
m’inspira des forfaits le plus abominable.
Rendez, rendez ce fer à ma barbare main. 28Ibid, 103.

PALMIRE: Le peuple se soulève ; on s’arme en ma défense ;
leurs bras vont à ta rage arracher l’innocence.
Puissé-je de mes mains te déchirer le flanc,
voir mourir tous les tiens, et nager dans leur sang !
Puissent la Mecque ensemble, et Médine, et l’Asie,
punir tant de fureur et tant d’hypocrisie ?
Que le monde, par toi séduit et ravagé,
rougisse de ses fers, les brise, et soit vengé !
Que ta religion, qui fonda l’imposture,
soit l’éternel mépris de la race future ! 29Ibid, 114.

MAHOMET:
(en l’interrompant, et s’adressant au peuple)
Apprenez, infidèles,
à former contre moi des trames criminelles:
aux vengeances des cieux reconnaissez mes droits.
La nature et la mort ont entendu ma voix.
La mort, qui m’obéit, qui, prenant ma défense,
sur ce front pâlissant a tracé ma vengeance ;
la mort est, à vos yeux, prête à fondre sur vous.
Ainsi mes ennemis sentiront mon courroux;
ainsi je punirai les erreurs insensées,
les révoltes du cœur, et les moindres pensées.
Si ce jour luit pour vous, ingrats, si vous vivez,
rendez grâce au pontife à qui vous le devez.
Fuyez, courez au temple apaiser ma colère. 30Ibid, 119-120.

PALMIRE: Tu dois régner ; le monde est fait pour les tyrans. 31Ibid, 121.

MAHOMET: je dois régir en dieu l’univers prévenu;
mon empire est détruit si l’homme est reconnu. 32Ibid, 122.

Note: All the above controversial passages are available in the English language here.

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